Février 2017 : Les Chinoiseries de Boucher

Février 2017 : Les Chinoiseries de Boucher

Parmi les dernières nouveautés figure un recueil d’estampes faites d’après les scènes chinoises de François Boucher.
Artiste majeur du règne de Louis XV, François Boucher (1703-1770) est considéré comme le peintre emblématique du style rocaille. Ses représentations idylliques et voluptueuses de thèmes classiques et mythologiques, ses allégories et ses scènes pastorales séduisent particulièrement la Cour et la favorite du roi, Madame de Pompadour qui lui passera de nombreuses commandes, puis, de mécène, deviendra son élève et amie.

Mais ces gravures réalisées d’après François Boucher révèlent une autre facette du talent du peintre et témoignent de la fascination exercée par la Chine sur le maître. Amateur d’objets d’Extrême-Orient, Boucher contribue à diffuser la mode des « chinoiseries », prémices de l’orientalisme qui tend à se développer dans toute l’Europe. Les arts décoratifs du XVIIIème siècle sont particulièrement marqués par cette soif d’exotisme comme le prouve l’attrait que suscitent les porcelaines importées d’Orient, les décors de panneaux laqués ou encore le mobilier dans le goût chinois de l’ébéniste anglais Thomas Chippendale (1718-1779). Ces sujets chinois ont, d’ailleurs, été réalisés par Boucher « pour être executez en tapisseries à la Manufacture de Beauvais » ainsi que le précise le catalogue du Salon 1742 où ils furent présentés.
En effet, la Manufacture royale de Beauvais, fondée en 1664 par Colbert, passa commande à Boucher de modèles pour réaliser une nouvelle tenture chinoise pour faire suite à « l’Histoire du roy de la Chine » qui comportait neuf pièces, racontant les voyages de l’empereur de Chine et le séjour de pères jésuites astronomes à la cour de Pékin, exécutées vers 1690 par Jean-Baptiste Monnoyer (1634?-1699), Jean-Baptiste Belin de Fontenay (1653-1715) et Guy-Louis Vernansal (1648-1729).
Le choix de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) et Nicolas Besnier (1686-1754), dirigeants de la Manufacture de Beauvais, de confier la conception de la tenture chinoise à François Boucher n’est pas le fruit du hasard. L’Extrême-Orient est un thème familier pour l’artiste, qui possède lui-même une importante collection d’objets d’art asiatique composée de miniatures, peintures, laques et porcelaines, pièces sans doute acquises auprès de son ami le marchand Edme-François Gersaint (1696?-1750) gérant du magasin « À la Pagode ». Boucher a également déjà reproduit des motifs chinois d’après Watteau (1684-1721) en particulier les décors à thèmes chinois du Château de la Muette dans le Recueil de Jean de Jullienne (1686-1766).



Boucher décide d’aborder la vie chinoise dans ses aspects officiels comme dans « L’Audience de l’Empereur Chinois » et dans ses aspects populaires avec, par exemple, « La Danse chinoise » ou « La Foire chinoise ». Pour illustrer son sujet, Boucher eut certainement recours à des sources documentaires telles que des chroniques de voyageurs ou les écrits et dessins des Jésuites établis à la cour de de l’Empereur Qiánlóng (1711-1799). Cependant, l’artiste semble s’accorder une certaine liberté par rapport à la réalité chinoise, un certain nombre d’anachronismes et d’incohérences sont à noter. Ainsi, dans « L’Audience de l’Empereur Chinois », figurent divers éléments qui n’ont rien de chinois : un lit à la polonaise, des baldaquins supportés par des colonnes torses semblables à ceux de la Basilique Saint-Pierre de Rome, une cassolette antique d’inspiration greco-romaine, des personnages portant le turban persan… de plus, ce genre de cérémonies était soumis à un protocole plus strict que ne le laisse supposer la scène représentée.

Plus que de véritables scènes chinoises Boucher réalise ici une sorte de transposition orientale de motifs et thèmes occidentaux. Il utilise les mêmes compositions, lignes de force, cadrages et points de vue, les mêmes attitudes pour ses groupes de personnages… Pour donner à ses compositions une apparence de couleur locale, il ajoute des éléments connus du grand public : chapeaux pointus, objets de porcelaines, parasols, pagodes… Mais les chinoiseries de Boucher conservent les codes de son univers. Elles prouvent son incroyable capacité à assimiler les motifs exotiques pour les refondre dans l’idiome rococo, ce qui fit dire à Edmond et Jules de Goncourt, dans leur ouvrage L’art du XVIIIe siècle, que Boucher avait réussir à faire de la Chine une des provinces du Rococo !

 

EN SAVOIR PLUS
J. Patrice Marandel, François Boucher et Les Chinoiseries, L’Oeil, n° 374 Septembre 1986
Edmond et Jules de Goncourt, L’art du XVIIIe siècle. Série 1, Paris, G. Charpentier, 1881-1882. Disponible en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6526174g (consulté le 08/02/2017)
Madeleine Jarry, Chinoiseries : le rayonnement du goût chinois sur les arts décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Vilo, cop. 1981

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